Gospodin, générale, première

Publié le par petitcâstle

Ce soir a lieu, salle Jacques Fornier, la première de Dénommé Gospodin, pièce de l'auteur contemporain allemand Philipp Löhle, mise en scène par Benoît Lambert, nouveau dirlo du TDB. Alors comme ce soir, c'est la première, hier avait donc lieu, au même endroit, la « générale ». Soit la répétition générale, celle où l'on fait « comme si », conditions du direct et quasiment pour de vrai. À la générale, toutes les équipes, qu'elles soient artistiques, techniques, ou administratives, peuvent venir. Les présences y sont fluctuantes, selon les plannings, les possibilités de chacun, mais aussi selon la curiosité. Car même si dès le lendemain le spectacle sera visible, l'atmosphère d'une générale est toujours particulière. Nous arrivons à un endroit étrange, au bord de la naissance. L'enfant (= le spectacle) va bientôt advenir, rencontrer le public et être « créé ». Mais pour l'heure, quelques réglages sont encore possibles, voire, une interruption peut avoir lieu en cours. Dans cet entre-deux, un lien intime et bienveillant se noue avec les présents (bon, n'allez pas imaginer non plus qu'on se tienne tous par la main confit de béatitude). Disons plutôt que, là où pour une représentation lambda, l'hospitalité appartient peut-être en premier lieu au théâtre programmateur – cette structure accueillant un spectacle et conviant un public, libre après aux deux parties précitées de prolonger l'hospitalité – pour la générale, l'hospitalité est du côté de l'équipe artistique : c'est elle qui, aux prémisses de la création, nous autorise (ou pas) à assister à cet accouchement. Instants ténus, qui cèdent bientôt la place à l'effervescence fébrile de la première (dont j'ai déjà parlé ICI).

En prolongement à cette idée de générale, voici quelques extraits d'écrits du metteur en scène Jean-Louis Barrault*, portant sur le fonctionnement des générales et leur évolution – ces dernières ayant cessé d'être ouvertes aux critiques dramatiques dans l'immédiat après-guerre. « Avant la guerre, celle de 39, la véritable création d’une pièce se faisait à la “Répétition générale”. Cette “répétition générale” était considérée comme la dernière répétition. Dès le lendemain, on livrait la pièce au public. […]

À cette répétition générale était conviée toute la critique. C’est à cette soirée que le cordon ombilical était coupé et que la pièce prenait vie. La critique assistait donc à cet accouchement. Venait ensuite la première composée en majeure partie de public payant et, pour une très petite partie, de quelques invitations obligatoires que nous appelons en terme de théâtre : ”les servitudes”. »

→ problématique intéressante par ailleurs, puisque Jean-Louis Barrault appelle de ses vœux le rétablissement des générales, afin que la place du critique soit réaffirmée comme intimement liée au processus de création théâtrale. Pour Barrault, il faut que « La pièce que nous présentons prenne vie devant la critique. Nous voulons faire comprendre à la critique que celle-ci est une des parties réelles de notre corporation. Le critique qui est convoqué à la répétition générale, c’est-à-dire à la véritable naissance de la pièce, devient un collaborateur au même titre que le décorateur, le musicien, les acteurs, l’équipe technique, etc. »

Bref, laissons Jean-Louis Barrault, la place de la critique et les générales pour revenir à Dénommé Gospodin. Voici un extrait d'une interview de Benoît Lambert, où le metteur en scène explique la genèse du projet :

« J'ai découvert la pièce au sein du GRECC, le groupe de réflexion sur les écritures contemporaines du Théâtre National de la Colline. À la lecture, j'avais le sentiment de me trouver face à une rencontre improbable entre Hervé Blutsch pour la loufoquerie et Jean-Charles Massera pour l’aspect politique. Bref, je me sentais chez moi. Après l'avoir mise en espace à Avignon en 2011 dans le cadre des quarante ans de Théâtre Ouvert, j'ai eu le désir de monter la pièce. À travers l'histoire de Gospodin qui se fait retirer son lama et essaie d’inventer une alternative, Philipp Löhle s’interroge : peut-on réinventer sa vie ? Dans quels espaces ? Il y a également une thématique forte autour de l'argent : qu'est-ce que l'argent fait aux gens ? Dénommé Gospodin tourne autour de ces questions, sans que la pièce n’apporte de réponse simple ou simpliste. Croyant à la démocratie, à l'égalité de clairvoyance des citoyens et au fait que chacun peut se faire son opinion, cette incertitude me plaît. Dans Dénommé Gospodin il y a de la pensée et de l'humour, du divertissement et de la réflexion, c’est un très beau terrain de jeu pour les acteurs. Mes derniers spectacles sont aussi des portraits d'acteurs, et Emmanuel Vérité, Christophe Brault et Chloé Réjon forment pour moi une sorte de trio idéal. Je suis enchanté de pouvoir les réunir. »

 

* Extraits trouvés non pas chez Barrault, mais dans "Quelques questions sur la place du critique contemporain", article du critique Jean-Pierre Han.

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